dimanche 10 avril 2011

le Traitement des dents incluses


Radiographie panoramique. Inclusion de la 13-23, agénésie des 35-45.
Après la carie dentaire, classée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme un des fléaux mondiaux en regard de sa prévalence élevée, et les parodontopathies, les dents incluses représentent un pôle d’intérêt majeur en odontostomatologie, compte tenu de leur fréquence élevée, fréquemment en rapport avec les dysharmonies dentomaxillaires.
La correction des malpositions dentaires par avulsion fut préconisée très tôt dans l’histoire de l’art dentaire, notamment dès 1728 par Fauchard.
Dans notre exposé suivant, nous proposons une approche thérapeutique chirurgico-orthodontique pour la mise en place des dents incluses sur l’arcade dentaire.
II. Définition : Les dents incluses sont classiquement définies comme retenues dans le maxillaire au-delà de leurs dates normales d’éruption, entourées de leur sac péricoronaire et sans communication avec la cavité buccale.
III. Fréquence : Les résultats des différentes études révèlent des chiffres variables mais non contradictoires. Ces discordances proviennent de la non-homogénéité des échantillons étudiés. Tous sont unanimes sur le fait que les dents de sagesse mandibulaires sont les plus fréquemment incluses, suivies de leurs homologues maxillaires puis des canines maxillaires, des prémolaires, des incisives, des canines mandibulaires et enfin des 1re et des 2e molaires.
La position des canines incluses est palatine dans 50 % des cas, 30 % vestibulaire, alors qu’elle se trouve dans une situation intermédiaire dans 20 % des cas. Sa fréquence est 10 fois plus importante chez les Caucasiens que chez les Chinois, alors que la variabilité en fonction du sexe montre une très légère prévalence chez les filles.
IV. Etiopathogénie :
  1. Les Causes Générales : Bien que les causes locales soient le plus souvent à l’origine d’inclusion dentaire, les facteurs héréditaires, notamment, peuvent jouer un rôle prédisposant dans l’existence de certaines inclusions.
On peut citer comme causes générales :
    • Facteurs héréditaires et congénitaux :
Certaines prédispositions familiales existent et déterminent une tendance à l’inclusion, ainsi que certaines déficiences congénitales que l’on retrouve dans le tableau clinique de certains grands syndromes : Trisomie 21, fentes labio-alvéolo-palatines, etc.
    • Facteurs endocriniens, vitaminiques et nutritionnels et maladies infectieuses :
    • Facteurs phylogénétiques :
L’augmentation de la dysharmonie dentomaxillaire par réduction de l’espace disponible sans diminution des dimensions du matériel dentaire favorise les troubles éruptifs.
  1. Causes Régionales :
Dysharmonie dentomaxillaire :
• Étiologie primaire squelettique : le manque de développement du prémaxillaire dans les brachymaxillies empêche l’évolution normale des dents.
• Étiologie primaire dentaire : macrodontie.
C. Les causes Locales :
1. Morphologie maxillaire : Se prête plus facilement à la rétention des dents à causes de :
§ La présence d’une cavité pneumatique (sinus, cavité nasale,orbite)
§ L’os spongieux très vascularisé assurant une stabilité plus au moins aléatoire des germes dentaires.
2. Les anomalies dentaires :
-de nombre
-de forme
-de taille
Sont des facteurs de rétention des dents en particulier :
-les dents supplémentaires
-les odontomes
-le gigantisme dentaire
3. Frein anormal ou cicatriciel .
4. Un traumatisme :
Après une chute accidentelle surtout d’une incisive lactéale, le germe définitif est déplacé de sa trajectoire d’éruption et demeure en position d’inclusion.
5. Une chute lactéale prématurée :
Qui peut être thérapeutique ou accidentelle, pouvant favoriser la version des dents voisines rétrécissant l’espace nécessaire à la dent définitive et entraîner une inclusion permanente.
6. Rétention prolongée :
D’une dent lactéale peut aussi favoriser une inclusion de la dent homologue permanente.
7. L’éruption anormale ou retardée dans le temps ou par un trajet inhabituel peut être un facteur de rétention de germe.
8. L’ankylose :
Infectieuse ou traumatique, peut entraîner l’immobilité du germe définitif.
9. Les caries ou les restaurations défectueuses :
Peuvent entraîner une cause de mesiogression donc perte d’espace suffisant pour le germe permanent.
10. les causes tumorales locales :
Tels que les kystes péricoronaires ou fissuraires.
V. Les Complications : 1-Au niveau des dents voisines :
Résorption radiculaire d’une dent adulte en contact avec le sac péricoronaire de la dent incluse, particulièrement l’incisive latérale supérieure et parfois la racine palatine de la première prémolaire.
2-Au niveau des dents incluses :
- Résorption coronaire et ossification secondaire.
- Ankylose : destruction du desmodonte à certains niveaux et résorption cèmentaire avec envahissement osseux dans les zones résorbées.
- Hypercèmentose apicale
- Coudure radiculaire accentuée : deuxième prémolaire inférieure incluse.
VI. Le Diagnostic :
Le diagnostic de toute dent incluse doit se faire le plus précocement possible afin de surveiller son évolution et de mettre en oeuvre une thérapeutique adaptée au moment opportun.
Devant l’absence d’une incisive centrale maxillaire, les parents consultent tôt, dès l’apparition de l’incisive latérale qui réduit l’espace médian et crée une situation asymétrique et inesthétique.
Dans le cas des canines, en règle générale, aucun signe fonctionnel n’amène le patient à consulter précocement ; la découverte est presque toujours fortuite lors d’un examen de dépistage (présence tardive d’une canine temporaire) ou d’un examen radiologique.
Cependant, par opposition au diagnostic positif, il convient de différencier:
L’agénésie : la dent est absente à l’examen clinique et ne peut pas être objectivée par les examens radiologiques ;
Les dents retenues enclavées : la dent peut être invisible à l’examen clinique, mais les examens radiologiques permettent de mettre en évidence une communication entre le sac péricoronaire et le milieu buccal ;
Un retard d’évolution : l’âge dentaire sera déterminé par l’étude du stade radiculaire ;
• Une avulsion iatrogène.
VII. Le Traitement :
Le choix thérapeutique sera orienté par des résultats de l’examen clinique et radiologique, la motivation du patient et les possibilités techniques du praticien.
La mise en place d’une dent incluse est toujours possible chez l’adulte.
A. Le traitement Préventif :
L’âge du patient va être déterminant dans l’acte préventif à mettre en place face aux risques d’inclusion. La suspicion de dents incluses va conduire le praticien à mettre en oeuvre un traitement précoce.
Avulsion de la dent temporaire : dans le but de modifier le trajet d’éruption de la dent permanente car une dent en évolution se déplace « dans le trajet de moindre résistance ».
Maintien de l’espace dévolu à la dent incluse : la perte prématurée de la dent temporaire nécessite la mise en place éventuelle d’un mainteneur d’espace.
Avulsion des dents surnuméraires : les germes surnuméraires et odontomes doivent être diagnostiqués et avulsés précocement afin de prévenir les risques d’inclusions.
Expansion transversale du maxillaire : l’augmentation de l’espace disponible par dispositif orthopédique (disjoncteur, palatal expander ou Quad helix).
Fermeture thérapeutique d’un diastème interincisif : freinectomie labiale supérieure face à un frein inséré profondément ou avulsion d’un mésiodens.
B. Le traitement Curatif :
1. Les Solutions non Orthodontiques :
§ L’abstention :
Les techniques actuelles rendent cette solution plus rarissime.
§ Extraction :
A la suite d’une contre indication orthodontique de désinclusion.
Comme par exemple une canine supérieure en inclusion horizontale haute et première prémolaire en contacte de l’incisive latérale.
§ Réimplantation après extraction.
§ Redressement chirurgical : risque d’ankylose.
§ Extraction et implant.
2. Les solutions Orthodontiques :
Le traitement des dents incluses implique une collaboration étroite entre le chirurgien et l’orthodontiste, et parfois une longue patience du patient.
Il existe quelques évidences en relation avec le traitement :
- Pour mettre une dent incluse sur l’arcade, il faut que le diastème soit suffisant.
- Si le diagnostic d’inclusion est confirmé, ne pas attendre pour intervenir.
- Il est plus facile de tracter une dent dont l’apex n’est pas encore fermé ; le déplacement en est plus facile, mais le risque de coudure radiculaire en est augmenté
- Les dents incluses, en situation vestibulaire haute, présentent toujours après leur mise en place, un manque ou une absence de gencive attachée.
Ø Les séquences du traitement :
a) Le temps orthodontique pré-chirurgical :
Consiste en la création d’un diastème suffisant pour recevoir la dent incluse.
b) Le temps chirurgical :
- Dégagement chirurgical :
· Inclusion vestibulaire : simple dégagement coronaire ou lambeau vestibulaire.
· Inclusion palatine : décollement d’un lambeau palatin ou réalisation d’un simple opercule.
- Fixation d’un moyen d’ancrage.
c) Le temps orthodontique :
Consiste en la pose d’un moyen d’ancrage et de traction de la dent.
Ø Cas Clinique :
traitement d’une canine supérieure incluse.
1) Traitement orthodontique pré-chirurgical : A pour but l’ouverture du diastème Le par les moyens suivants :
a. Fermeture de diastèmes :
s’il existe des diastèmes entre les incisives, leur fermeture peut suffire à récupérer les millimètres manquants.
- Un ressort ouvert actif placé entre l’incisive latérale et la prémolaire va ouvrir l’espace.
b. Le recule du secteur latéral :
C’est le diagnostique qui en posera l’indication.
Les moyens utilisés pour ce recul sont : les FEB antéropostérieures, la barre trans palatine, le Quad Hélix, etc.
c. Avancement du groupe incisif :
d. Augmentation du périmètre d’arcade :
La réharmonisation de la forme d’arcade par un Quad Hélix ou un arc en Ni-Ti sur forme d’arcade va créer de l’espace.
e. Par Extractions :
En cas de DDM franche, l’extraction d’une dent d’une dent permanente s’avère nécessaire et le choix retombe généralement sur la première prémolaire pour son voisinage avec la dent incluse.
2) Le temps Chirurgical :
Les impératifs :
- dégagement osseux à minima.
- Eviter tout gratage ou meulage cémentaire.
- Ne pas mobiliser la dent car il y a un risque d’ankylose.
- Pas de dessication osseuse par meulage excessif ou irrigation insuffisante du champ opératoire.
Le dégagement chirurgical :
a) Canine vestibulaire :
Au cours d’une seule intervention, avec économie du tissu osseux ; une greffe de gencive attachée ou un lambeau de rotation sont indiqués au cours ou après l’intervention pour toutes les canines incluses en situation vestibulaire.
b) Canine palatine :
Le décollement d’un lambeau palatin est très souvent indispensable. Il n’est pas nécessaire de l’étendre jusqu’à la canine opposée si celle-ci est en place sur l’arcade.
Fixation d’un moyen d’ancrage :
Différents types d’ancrages peuvent être utilisés :
- Collage d’une attache : c’est le procédé de choix, il se fait sur champ opératoire sans suintement.
- Collage direct sur l’Email d’un fil rond : de diamètre de 0.5mm qui sera terminé par un crochet.
- Bagues : on prendra la taille de la bague sur la dent symétrique évoluée sur l’arcade.
- Tenon dentinaire : uniquement pour les inclusions très profondes.
3) Le Temps orthodontique :
Impératifs :
a) Inclusion palatine :
Dégager la couronne de la dent incluse des racines des incisives, egresser la dent en la basculant distalement et aussitôt que possible, lorsque la couronne est visible, la déplacer rapidement et en direction vestibulaire ; éviter les rotations DV.
Traction sur la face vestibulaire dès que possible.
L’égression finale, la correction d’une rotation résiduelle et la version radiculaire vestibulaire seront effectués à ce stade.
b) Inclusion vestibulaire :
Exercer une traction haute en direction distale, pour éviter les interférences avec les incisives latérales : ne tracter en direction palatine qu’après déplacement dans l’espace prévu pour l’égression.
Les dispositifs utilisés :
1. Les appareillages amovibles :
Les plaques palatines ne présentent pas un contrôle très précis lors de la traction des dents incluses ; leur usage a été abandonné au profit de dispositifs fixes offrant un contrôle plus fin ; toutefois, leur association peut être envisagée en particulier pour la correction des inversés d’articulé rencontrés dans le cas de dent en position palatine.
2. Appareil fixe :
C’est le dispositif qui offre le meilleur contrôle lors de la mise en place d’une dent incluse et évite les mouvements parasites des dents d’ancrage. Il peut être nécessaire d’appareiller les deux arcades pour résister aux forces de traction ainsi que corriger les dysmorphoses associées. Les minivis ou mini-implants peuvent être associés au dispositif multibagues pour augmenter leur force de résistance.
Cette technique est réalisée selon les étapes suivantes :
1) Préparation de l’unité d’ancrage et de l’unité active :
- Les dents d’ancrage peuvent être reliées par un arc rigide en acier, et cela après la réalisation de l’alignement, le nivellement des dents et la création de l’espace nécessaire au site d’accueil de la dent retenue.
- Cet arc en acier reliant les dents d’ancrage peut servir lui-même de générateur de force (unité active) grâce à des boucles de formes différentes. Ce type de mécanisme était utilisé surtout dans le passé, avant la venue des arcs en nickel-titane, possédant un important module d’élasticité.
- Une barre transpalatine reliant les deux molaires maintient transversalement ces dents sollicitées par la traction sur la dent retenue.
C’est à ce stade que l’orthodontiste fait intervenir le chirurgien pour réaliser la désinclusion de la dent retenue.
Après la désinclusion, l’orthodontiste prépare l’unité active. L’unité active est le « moteur » qui doit permettre le déplacement de la canine par l’intermédiaire d’une attache préalablement fixée sur la couronne.
2) Collage de l’attache :
Il existe différents types d’attaches de dimensions réduites pouvant être collées sur la dent incluse. Elles sont composées d’une base de type grillagée et d’une partie périphérique en forme de bouton, d’anneau ou d’œillet.
La position de l’attache est décidée en fonction de la situation clinique de la dent et de la direction de la force à appliquer pour guider celle-ci dans son site alvéolaire précédemment préparé. L’attache est placée suivant le cas :
• sur la face vestibulaire – position la plus favorable
• sur la face distale
• sur la face palatine.
Cette dernière situation engendre souvent la création d’un moment qui provoque une rotation. Cela nécessite des corrections mécaniques allongeant le traitement si la mécanique n’a pas été correctement programmée.
3) Déplacement de la dent retenue : La dent est déplacée vers son site sur l’arcade grâce à des auxiliaires de traction (élastique, chaînette, ressort fermé en NiTi). La traction est exercée à partir d’une ligature métallique en forme de toron accrochée sur l’attache et se terminant par un crochet. Au fur et à mesure de la migration de la dent, la longueur de la ligature peut être ajustée et la boucle reformée. Si la dent est proche de son site, ils peuvent être reliés directement sur l’attache.
Les ligatures ou les chaînettes élastiques sont à proscrire quand la traction est sous muqueuse à cause des risques inflammatoires et de rupture. Elles peuvent par contre être utilisées quand l’attache est visible.
La dent retenue peut être tractée par un sectionnel placé en vestibulaire dans le tube gingival de la bague molaire (double tube de Ricketts). Il a l’avantage de mieux contrôler la direction de la force grâce à des plicatures et des boucles qui donnent plus d’élasticité, délivrant ainsi des forces légères, contrôlables et continues. Ce type de dispositif a comme autre avantage de ne pas solliciter les dents voisines de la dent retenue, évitant ainsi des effets parasites fâcheux.
Il existe différents mouvements de déplacement :
Ø Des mouvements de déplacement vertical.
Ø Des mouvements de déplacement vestibulaire.
3. Forces magnétiques :
Un aimant directement collé sur la dent incluse est activé par un autre intraoral solidarisé à l’arc rectangulaire. Certains auteurs décrivent plusieurs avantages de cette traction magnétique dont une diminution des lésions parodontales et surtout une réduction du temps de désinclusion.
VIII. Résultats :
Le temps de mise en place d’une canine incluse est très variable, entre 6 mois et 18 mois voir deux ans.
Malgré l’importance du déplacement, on observe très peu de résorption radiculaire sauf sur les incisives latérales.
S’il existe d’autres anomalies orthodontiques à traiter, la durée globale du traitement sera probablement augmentée.
On note l’existence d’un éventuel échec thérapeutique qui peut être soit :
- Echec total : dû à une ankylose qui survient chez l’adulte ou l’adolescent âgé. Il est indispensable de prévenir le patient de cette éventualité aussi peu fréquente soit-elle.
- Echec partiel : peut être :
· Parodontal :
- Manque ou absence de gencive attachée.
- facteur de dénudation ultérieur.
- déhiscence osseuse.
- poches au niveau des dents voisines.
· Dentaire :
- Résorption radiculaire des dents voisines.
- Longueur clinique de la couronne augmentée par rapport à la dent homologue.
- Apex trop palatin.
IX. Contention : Après l’obtention des résultats souhaités, une contention classique sera mise en place pour prévenir d’éventuelles dystopies de la dent traitée.
La mise en place d’une dent incluse est rarement un processus simple ; il convient d’avertir le patient de la durée du traitement et des risques encourus.
Pour que la décision de traitement soit prise en connaissance de cause, il devra connaître les solutions de remplacement avec leurs avantages et leurs inconvénients afin de s’assurer de sa motivation et de sa coopération tout au long du traitement.
L’évolution de l’imagerie, des techniques, des matériaux et la prise en compte de l’environnement parodontal ont codifié les stratégies thérapeutiques à mettre en œuvre lors de la traction des dents incluses. Cet acte pluridisciplinaire offre aujourd’hui un pronostic favorable de mise en place esthétique et fonctionnelle.

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